Carnet de route

L'ascension du Vignemale ou de l'indifférence des marmottes
Le 25/06/2025 par Jonathan DA ROS
Vendredi 6 juin, je quitte mon domicile à pied pour quinze minutes de marche en direction de l’arrêt Doyen Brus, point de rendez-vous pour notre grand départ pour les Pyrénées. Nous sommes huit à prendre la route avec Agnès et Jean François comme pilotes. Oserai-je sortir les bâtons télescopiques - conseillés par Nina, notre encadrante ? En pleine ville, quand même pas. Le sac de quarante litres bien rempli et le casque suffiront pour avoir le style. JF s’annonce sur place quinze minutes en avance, ça tombe bien, j’arrive aussi, suivi de près par toute la troupe.
Dans le 4x4 d’Agnès, la route est sans encombre, à l’exception d’une rocade bouchée et de zozos de la route qui ne respectent pas les feux rouges ! Dans les premières montagnes traversées, Agnès se joue de ses passagers avec son quizz dont elle seule connaît les réponses. J’avoue qu’à date, je ne me souviens que d’une histoire de séisme et de statue à l’entrée de Gavarnie qu’il faut avoir l'oeil de trouver.
Arrivée au refuge de la grange de Holle: “Tiens la Clio grise de JF ! Déjà ? Il a tracé.” Nous sommes accueillis par le gardien avec le sourire. Il y a du monde à table, le refuge est plein. Nos premiers bordelais ont retrouvé Antoine, arrivés plus tôt avec son Kangoo noir. Pour ma première fois au refuge, je suis surpris par la qualité du repas. C’est une obligation pour cette institution de fournir, soupe, plat avec viande (aujourd'hui de l’axoa), fromage et/ou dessert.
Le lendemain, c’est le départ - en commençant à quatre pattes pour chercher ma vis de lunette disparue (je finirai la sortie en lunettes de soleil) - pour une quinzaine de kilomètres de marche en direction du refuge de Bayssellance en longeant le Gave d’Ossoue. Nina mène la troupe par la forêt, à la fraîche. On se trompera de chemin, mais c’est sans importance. Le temps magnifique nous fait profiter du paysage. Thibaut et Louis marchent sans bâton mais restent à l’aise. D’un coup la voix d’Agnès s’exclame : “Oh regardez une marmotte !!” Ni grasse ni farouche, comme beaucoup d'autres sur le chemin.
Le pont qui nous aurait fait traverser le ruisseau des Oulettes n’est plus qu’une ruine en attente d’une reconstruction qui ne viendra jamais. On cherche un passage propice à la traversée. Jean François se lance d’un pas rapide, bondissant. Il marche sur l’eau ! Une majorité refuse de passer par là pour s’y mouiller. Nous descendons le ruisseau à la recherche d’un autre chemin, long aller et retour pour finalement se tremper encore plus. Bien fait pour nous. Note pour plus tard : longer rive droite pour traverser au barrage.
Cette randonnée de seize kilomètres sera l’occasion de nos premiers pas dans la neige, de s'arrêter pour écouter JF nous parler des roches et de comment les reconnaître, l’histoire des plaques tectoniques qui ont façonné l’Europe, les plantes diverses telles la gentiane printanière, les rhododendrons et plante carnivore que l’on pourrait confondre avec la violette. Thibaut, plus attentif, partage sa passion pour les fleurs. Notre guide nous raconte sa vision et comment il apprécie la lecture de la montagne. Ça grimpe légèrement.. “Ohhh une marmotte !!” s’émeut Agnès. On en prend des photos.
Au bout de six heures : “Refuge en vue !” s’exclame Jean François d’une voix forte et claire. C’est la carotte pour nous donner la force de terminer cette randonnée. À l'arrivée, tout le monde fixe la table de picnic à l’entrée. Un petit bonjour à l’un des gardiens et on balance les sacs, on s’affale sur les bancs tels de grosses masses, on s’y allonge même. On y restera un moment pendant que JF s’occupe de nous annoncer. D’un côté, on contemple la vue magnifique, notamment sur la cascade du cirque de Gavarnie, la brèche de Rolland. De l’autre on regarde vers la porte du bar et la carte des boissons.
“Regardez les marmottes !!” s’écrie Agnès.
Au loin, en sortie de la crête de la Hourquette, on observe les randonneurs arrivant dans notre direction.
“Planquez-vous ! Des espagnols !” s’écrie Antoine. C’est le moment de ré-écouter (deux fois) l’occasion où ils lui ont volé son petit déjeuner. “Et les cailloux ? relançai-je. “- Ohh les cailloux !!!”.
Chacun son casier avec son numéro, les sacs à l’intérieur sont interdits (en même temps c’est déjà serré dans les dortoirs). On met des crocs. On se met bien. Dans la chambre, les superposés sont des lits de rois alors que les autres sont rangés par trois bien serrés. Jean François est déjà sur celui du milieu. J’interpelle : “Euh JF, c’est mon numéro là !” Moi, psychorigide ?
En fin d'après-midi, on profite de deux ateliers. Le premier à l’écart du refuge. On y apprend la chute et comment se rattraper avec et sans piolet. On fait des glissades sur les fesses. Le deuxième atelier de Nina nous enseigne les anneaux de buste et comment faire un noeud de chaise. Elle aime l’expliquer avec des jeux de mains très visuels qui plairont à certains, là où d’autres préfèrent l’analogie faune et flore d’Antoine: “Tu fais un puits, tu passes le serpent, tu fais le tour du …” (Personnellement j’comprends aucun des deux de toute façon) On s’encorde et on pratique.
“S’encorder pour le grand Vignemale ? Mais c’est pas la peine ! “ La formation est entrecoupée depuis quelques minutes par un individu en collant gris qui randonne avec un sac de supermarché. JF l’attrape pour le mettre sur le côté: “Attends, là tu perturbes l’atelier”. “Bon ben c’est l’heure, je vais grimper le petit Vignemale” ajoute-t-il. Il est 18 heures. Il part avec son snowboard. “Je laisse mon sac là, faites attention à la marmotte.”
“Ohhh la marmotte ! ” clame Agnès. Là pour le coup, c’est original. Celle-ci est bien grasse. Elle tourne autour du refuge la maline. On la voit s’approcher des humains, grimper sur leurs jambes, et lêcher vêtements, sacs ainsi que les mains tendues par les volontaires. Elle se laisse caresser, à l’aise. “Faut apprendre à te débrouiller toute seule voyons !” lui dit Jean François. Cause toujours tu m’intéresses.
C’est l’heure du repas avec la même formule que la veille et au son bruyant de l’espagnol qui se restaure en groupe. En plus, il y a encore de l’axoa. Jean François nous raconte des anecdotes pour nous sensibiliser à certains dangers: “Les bâtons en crampons, c’est non ! Et les dragonnes sur les piolets, ça dégage.” J’y reviendrai. “Toujours avoir du papier toilette sur soi, ça peut servir. Des fois on peut voir certains en randonnée qui se dandinent. - Ahh c’est comme ça que tu aimes lire la montagne alors ?”
On se prépare pour aller pioncer. Nine et moi n’avons pas la patience d’attendre que se libère la salle de bain. On ira se laver les dents dehors. “Purée j’suis deg, j’ai oublié ma brosse à dents !” dit-elle déçue. A l’extérieur, ça caille mais l’air est pur et la vue est belle. Elle sort son téléphone. “C’est vraiment pas un temps à prendre des photos.” dis-je, étonné. Elle pouffe de rire la bouche pleine de dentifrice.
21h30. “Sérieux, aller dormir ?” J’ai plutôt l’habitude de me coucher après minuit. Je mets des boules Quies. Déjà quelques sorties Vertige et je me suis enfin décidé à m’en acheter. Je passerai ma nuit à tourner dans le lit et à les chercher car ça ne tient pas dans l’oreille. Les refuges c’est pas des refuges, c’est des saunas.
Le lendemain lever 5h45, petit déjeuner, et départ à 6h30. Faut pas chômer. Nous partons avec quinze minutes de retard et Jean François ne se gène pas pour nous le faire remarquer. “C’est à cause de ces casiers, là !” essaie de se défendre Louis. On se rendra bien compte que le chef cherche à nous faire rattraper le temps perdu. Ça trace bien.
“Alors, on va se rappeler les trois phases de la chute hein”, pensais-je. On n’est pas tous habitués à descendre dans la neige du matin. Il faut garder le pied sûr. On a quelques secondes pour apprécier la vue sur la vallée embrumée mais on repart vite.
“Avec tout ça j’ai oublié mon eau.” me confie Louis. On partagera. La cordée est solidaire !
Nous passerons par la crête de Montferrat. Encordés par deux ou trois, nous atteindrons le pic central à 3184 m, pratiquerons la corde tendue vers le col Lady Lyster et pic de Cerbillona. Les crêtes, quel kiff !
Louis est ravi d’être passé en Espagne. Tous ses sms à Mélanie écrits depuis deux jours vont enfin pouvoir partir, dans le désordre - elle n’y comprendra rien - mais elle sera au moins un peu rassurée.
Dans une redescente, c’est Nine qui mène le groupe d’un pas sûr. On ne continuera pas l’ascension par les crêtes, trop de neige au pic du Clos de Hount. Jean François observe un couloir alternatif: “J’ai besoin de le voir de près”. Il prend la tête, on le suit d’un bon rythme en passant sous les trois grottes Russel. Au bout d’un moment, il se fixe. “Alors Jeff, tu en penses quoi ? - C’est pentu. - Ah..” Et moi de rajouter puéril: “Et ce passage là, plein de cailloux, ça fait comme un bon escalier non ? (pfff tais toi des fois) - C’est péteux. - Péteux ? C’est un terme technique ? - …” Pas de réponse. On avance. Arrivés au pied du passage rocheux, Jean François se lance. Bon faut y aller. On sent les cordées fébriles. C’est que de la caillasse ici. On met les mains. J’entend un premier : “Caillou !!” Mon piolet coincé entre le sac et le dos pour être récupéré plus facilement n’est pas des plus confortables pour lever la tête, alors je suis la corde en faisant attention au moindre gravier sans me soucier du chemin. La corde se tend rapidement, JF ne veut pas traîner là, c’est sûr. Plus haut, j’en vois encore un tomber: “Cailloux ! - Allez, allez ! C’est bon là, on y va !” ajoute-t-il. Un moment d’interruption. Notre doyen laisse tomber son piolet. Première tentative d’arrêt, deuxième. Je me lance corps entier, j’y laisse un morceau de genou, pas loin du vide en plus, non ? Pas sûr. De toute façon on n’a pas le temps.
Arrivée en haut, un petit pas sommital sur glace nous laissera quelques sueurs froides. Le Grand Vignemale est au bout ! On n’y restera pas longtemps. Quelques instants pour apprécier la vue, les encadrants préparent la descente. “Il ne faut pas se laisser le temps de refroidir !” Génial.
Nine reprend la tête et nous montre la technique de descente par la voie normale. C’est raide. “Allez, c’est pas le moment de faire les héros” me dit Jeff. Face à la pente, un coup de piolet et on descend en se créant des marches d’escalier. Je l’entends glisser une première fois pas loin de moi, sans m’inquiéter. Puis une deuxième quelques minutes plus tard. Je lève la tête: “Le gars est littéralement debout au-dessus de moi avec une aisance insolente. Il marche sur l’eau dans tous ses états, c'est pas possible”, pensais-je. La désescalade a duré des heures (au moins en ressenti). On y verra du rocher dévaler la pente. Le casque est obligatoire ! Plus bas, on se désencorde, et on mange. Louis s’émeut de l’absence de cachette pour son intimité. Les espagnols qui eux se foutent que l’on mange à côté lui montrent la solution.
La descente se fait sans encombre. On s’affale sur les bancs et sur le sol près du refuge. Certains sont rapidement en train de faire la sieste dans leur lit et d’autres par terre en plein soleil. “Euh, vous voulez pas boire un coup ?” Je me sens seul. Après mon insistance, Thibaut, tout tartiné de sa crème solaire jusqu’aux oreilles, finira bien par prendre un petit thé glacé. On admire la vue. Ici, le maître du jeu, c’est Antoine. D’habitude il en apporte cinq ou six en sortie, mais ça ne rentre pas dans un sac pour de l’itinérance (alors que des chips… ). Du coup, il en sort un avec des dés, “El Ocho”, qui se joue normalement à six, et on comprend pourquoi. On y passe des heures pour une partie. On s’y crame au soleil. Agnès triche sans aucune honte en profitant de l’attraction magnétique du Vignemale. Nine et moi sommes dégoûtés de notre situation géographiquement défavorable. La roue tourne va tourner pour la deuxième partie et c’est Jeff qui aura la guigne. On ne peut pas être bon partout. Nina se désespère que personne ne veuille de son comté. Ça boit des bières. Au repas, pas d’Axoa cette fois. “Jeff, à propos de cette histoire de dragonne…”
Le lendemain, c’est décidé, de toute façon le petit Vignemale est plus petit que le grand, c’est quarante-cinq minutes l’ascension, on y va sans sac, sans eau, sans crampon et juste en piolet. C’est parti. Après une vingtaine de minutes, Antoine trouve la trace pentue. J’avance mais je m’inquiète du fait que l’on devra passer par là à la descente. D’un coup, Jeff qui fermait la marche se rapprocha d’un pas rapide vers Nina. Discussion en secret. “Comment vous vous sentez ? - C..c…ça va… - Ouais, ça va. - Mouais. - Bof”. Sans crampon c’est clairement dangereux, la neige a durci pendant la nuit. On redescend. La moralité, c’est encore de savoir faire demi-tour. La règle est simple. Quand les crampons sont dans le sac, on n’en a pas besoin. Quand ils sont au refuge…” Arrivés à notre point de départ, on reste assis toujours sur ces mêmes bancs, hagards. Il reste encore la randonnée de retour. On n’envisagera pas de retenter l’ascension en crampons.
La descente est une balade de santé à côté du reste. On finira bien par profiter d’une marche lente, laissant Jeff et Nina faire leur débriefing en secret loin devant. “Ohhh une marmotte !” s’extasie Agnès. - (Soupir)
On profite du premier arbre depuis deux jours pour faire une pause près du barrage, manger et faire la sieste. Il reste encore quelques heures. Il fait chaud, on voit enfin le début d’un morceau d’un bois pour y apprécier l’ombre. Ah ben non en fait. “Mais elle est où cette forêt ??”, réclame Antoine. On s’y engouffre et certains n’en peuvent plus de cette montée interminable. Mais on est à la fraîche. Après une randonnée de 4h30, j’annonce enfin : “Refuge en vue !!!”
Encadrants: Jean François, Nina. Participants: Agnès, Antoine, Jonathan, Louis, Nine, Thibaut